Dangers de l'iconographie


Ce qu'il faut comprendre, c'est que pour faire un bon costume historique, le mieux c'est encore de se baser sur des enluminures contemporaines à la mode que l'on souhaite reproduire, en un mot, si l'on veut se faire une robe 1440, il vaut mieux comparer plusieurs miniatures (images des manuscrits) de 1440. "Mais où en trouve-t'on Mamzelle Gigi?" me direz-vous. Tout simplement : on va sur le site de la BnF Mandragore.fr, et après avoir sélectionné le "Département des manuscrits occidentaux" et "Les images numérisées", on inscrit "15" dans "Date par siècle" et on valide. Sur la page suivant, il faut aller dans "notice", et défiler les manuscrits jusqu'à ceux dont les dates vous intéressent. Une fois qu'on a trouvé le bon, il faut cliquer sur "Images" et on a plus qu'à choisir. Il y a naturellement d'autres moyens de trouver des miniatures, tout n'est pas sur Mandragore, mais c'est sommes toutes un moyen assez simple et efficace de trouver ce que l'on cherche lorsqu'on n'est pas trop exigeant.
Comme un fait exprès, ça n'est pas aussi simple qu'il n'y parait. Toutes les enluminures médiévales ne sont pas preuves de vérité. C'est là que l'iconographe que je suis vous aide à discerner l'imaginaire du réel. Il faut savoir que les peintres médiévaux n'ont aucune notion de l'anachronisme. Il y a quelques jours encore, l'une des petites mains croyait pouvoir se faire une robe à col carré pour une manifestation 1440 car elle l'avait repéré sur une miniature du baptême de Charles VII de Martial d'Auvergne.

Vigiles de la Mort de Charles VII, BnF Fr. 5054, vers 1485, fol. 3 (détail)

La costumière historique éclairée sait très bien que les cols carrés apparaissent vers 1480 selon les zones, en gros sous le règne de Charles VIII, petit fils de Charles VII. Problème donc. Alors pourquoi cette confusion si commune, soit dit en passant? À cause des miniatures des Chroniques. Les peintres peignent la mode qu'ils connaissent, même s'ils représentent des scènes qui se sont passées 200 ou 300 ans plus tôt. Un peu comme si Picasso peignait la Renaissance avec les vêtements de son temps. Quand vous vous retrouvez confrontées à ce genre de cas, il faut toujours prendre en compte la date du manuscrit.
Petit exemple :


Bnf. Fr. 2609, Poitiers, vers 1471, fol. 171v détail.
                                                      
Ce que vous voyez ici est une miniature de Robinet Testard, enlumineur de la Cour d'Orléans puis de la famille royale de 1470 à 1520 et dont l'atelier se trouve à Cognac. Il s'agit de la "Répudiation d'Aliénor d'Aquitaine" détail extrait des Grandes Chroniques de France, visible sur Mandragore.fr. Pour info, Aliénor d'Aquitaine, c'est 1122-1204.
Voilà ce qu'il nous reste comme iconographie contemporaine d'Aliénor d'Aquitaine:

Tombeau d'Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenêt, Abbaye de Fontevraud.
                                   
Rien à voir avec la miniature précedente. Le Tombeau d'Aliénor est certainement plus proche de la réalité que ce que Testard nous peint.
Moralité : il faut toujours faire plus attention à la date du manuscrit plutôt qu'au titre de la miniature. Pour le fun, voilà ce que donne l'iconographie d'Aliénor au XXè siècle, et qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant :



Certes plus glamour que la précédente, on ne peut pourtant pas faire moins historique. Tout dépend de ce que l'on cherche...

Prudence donc.

Il en va de même pour l'imaginaire. On ne sait pas vraiment imaginer ce qu'on ne connait pas. On se base sur des codes iconographiques, c'est à dire des éléments fréquemment utilisés par les miniaturistes pour caractériser une condition ou une situation. En gros, le juif aura un chapeau pointu, les maures les cheveux hirsutes, ou des casques à ailes... On ne peint pas le perse avec les habits perses, mais avec la "robe" du XVè siècle accessoirisée d'éléments pseudo orientaux et largement fantasmagoriques. Exemple :


L'Ethiopie, BnF Fr. 22971, Cognac vers 1480-1485, fol. 20
L'Arabie, BnF Fr. 22971, Cognac vers 14480-1485, fol. 6.



Ces deux miniatures de Testard sont extraites du Livre des Merveilles du Mondes ou les Secrets de l'Histoire Naturelle, petit chef d'oeuvre visible sur Mandragore.fr.
Elles témoignent assez bien du problème de l'imaginaire : il est peu vraisemblable qu'en Éthiopie on retrouve des licornes, des dragons, des "Blemmyes" (hommes sans tête dont le visage se trouve sur le torse) à moitié nues et des serpents à tête d'homme. Il est également évident que les arabes ne chassaient pas le dragon, enfin à priori. Les casques à ailes dont ils sont affublés sont symptomatiques de l'imaginaire de l'Orient. si vous en retrouvez dans d'autres miniatures, dites-vous qu'en général les costumes présentés sont imaginaires car antiques ou orientaux. Vous remarquerez par ailleurs que la femme (blanche) est habillée à l'occidentale. Or voilà à quoi ressemblaient le vêtement oriental du temps de Testard :

Navâ’î, Lesân al-tayr, Boukhara, mi XVe, turc 996, San'Ân et la chrétienne, fol. 26v

Là encore, rien à voir avec les représentations occidentales. Encore une fois, prudence.

Si vous avez le moindre doute quant à la véracité d'un costume, le mieux c'est encore de se baser sur des calendriers trouvés dans des Livres d'Heures. Il font rarement preuve de fantaisie car ils peignent le travail quotidien.

 

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